CHAPITRE XXI

Jacen Solo se réveilla, toussa et cracha. Ses douleurs aux épaules et aux hanches lui firent presque oublier la brûlure de ses poumons. Ouvrant les yeux, il vit une image distordue de lui-même sur un sol à peine moins poli qu’un miroir.

Il était suspendu à un râtelier fixé au plafond ; des liens blessaient ses chevilles, ses cuisses et ses poignets.

Le soleil se levait sur Belkadan, générant un demi-jour grisâtre, reflet parfait de la brume où flottait son esprit. Il estima qu’il était prisonnier des Yuuzhan Vong depuis au moins quatre heures.

Assez longtemps pour remonter ma piste jusqu’à la base ExGal ! Qu’est-ce qui m’est passé par la tête ?

La vision lui semblait pourtant si réelle ! Et il lui avait paru tellement juste de lui obéir… Il n’avait pas envie de conclure qu’il s’était abusé lui-même, prenant le prétexte d’un rêve pour commettre un acte que son oncle désapprouverait. L’idée qu’un tel comportement était « de son âge » le tracassait encore plus.

Si c’est le cas, je suis semblable à tous les adolescents ! Mais je suis spécial, plus mûr, plus responsable…

Une quinte de toux le secoua, ravivant ses douleurs. Jacen fit une grimace désabusée.

Bien entendu, tous les gamins de seize ans se croient différents des autres. Et ils continuent de le croire après avoir commis les pires bévues prouvant que ce n’est pas le cas.

Jacen soupira. Sa formation de Jedi ne l’empêchait pas de se fourvoyer.

On peut mettre des moteurs puissants sur n’importe quel rafiot. Si la coque n’est pas saine, le vaisseau explosera.

Voilà ce qu’oncle Luke a essayé de me faire comprendre en me rappelant que je manquais d’expérience. Leçon numéro un : admettre que je ne sais pas tout. Leçon numéro deux : m’assurer que je tirerai profit de la leçon un.

Jacen rassembla son énergie pour invoquer la Force, mais la douleur, aux épaules et aux hanches, brouillait sa concentration. Une troisième quinte de toux n’arrangea rien. Il fit de son mieux pour apaiser ses maux, recourant aux techniques Jedi d’inhibition des sensations. Mais les liens de ses poignets se resserrèrent, lui tordant davantage les bras.

La douleur le transperça.

Jacen haleta. Des frissons glacés le parcoururent. Les liens de ses bras se détendirent un peu, mais cela le soulagea à peine.

Apparemment, le dispositif auquel il était attaché percevait le niveau d’inconfort de la victime. Jacen savait que ce n’était pas difficile à réaliser : il suffisait de bons détecteurs cérébraux. Il était même possible de mesurer les réactions des nerfs grâce à la lecture des signaux neurologiques. C’était le principe même du fonctionnement de la main artificielle de Luke.

Jacen savait aussi qu’il existait des machines de tortures comme celles que Dark Vador avait utilisées sur Leia et sur Solo, à Bespin.

Mais cette séance semblait gratuite. Personne ne l’interrogeait. Le seuil de douleur n’était pas suffisant pour le briser, même s’il le perturbait assez pour qu’il ne puisse pas faire appel à la Force. Cela dit, il doutait que les Yuuzhan Vong en sachent assez long sur les Jedi pour comprendre à quel point une telle manœuvre serait efficace.

Mais le peu qu’il avait vu ne lui plaisait pas beaucoup…

La panique menaça de le submerger ; il la repoussa.

Il aperçut son sabre laser sur une étagère, près de la porte, et essaya de l’atteindre à travers la Force. Il ne pourrait pas l’allumer, mais s’il avait pu l’attirer à lui et en flanquer un bon coup sur la tête de la créature, il s’en serait contenté.

Il ne parvint pas à se concentrer suffisamment pour faire bouger l’arme. Mesurant son impuissance, il se crut sur le point de s’abandonner au désespoir.

La créature avança. Sa carapace dorsale couverte de bosses blanches évoquait un amas de graviers. Les bras les plus minces se plièrent, révélant des petites pinces et des frondes ressemblant à des plumes.

Le monstre s’arrêta devant Jacen. Les deux bras les plus épais se tendirent vers lui, pinces ouvertes.

Jacen recula pour les empêcher de lui saisir les oreilles ou les joues. Cette fois, il vit le monstre de plus près, et sut avec certitude que les « graviers blancs » étaient les graines des calcifications qu’il avait remarquées sur les esclaves.

S’ils m’implantent ces trucs, je suis fichu !

Une fronde lui effleura la gorge, provoquant une douleur fulgurante. Sa tête retomba en arrière, inerte. Les muscles de son visage frémirent et un peu de sang coula au coin de sa bouche, car il s’était mordu la joue.

Les pinces lui saisirent les lobes des oreilles. Le côté positif des frondes, c’était que la douleur l’empêcha presque de sentir la pression sur ses oreilles. Puis une autre pince se tendit et prit un pli de sa chair au-dessus de sa pommette.

Il entendit un cliquetis ; la pince lui avait ouvert la joue. Du sang coula, éclaboussant la carapace grise de la créature.

Tandis qu’une pince tenait la blessure ouverte, l’autre y inséra délicatement un gravier blanc. Jacen sentit le corps étranger pénétrer sa chair.

Il savait que nombre de créatures, surtout des insectes, procédaient de cette façon. Elles implantaient leurs œufs dans des « hôtes » vivants. Une nichée de créatures y grandissait, le dévorant de l’intérieur jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à sortir et à chercher de nouvelles proies. L’hôte mourait après avoir nourri ses propres meurtriers.

Jacen voulut de nouveau invoquer la Force. En vain. Il s’acharna néanmoins, refusant de capituler.

Sur l’étagère, son sabre laser bougea.

Le monstre lâcha les oreilles de Jacen et courut vers la porte. Le jeune Jedi regarda son arme, résolu à l’attirer vers lui pour frapper son tortionnaire.

Le sabre laser lévita au-dessus de l’étagère.

Puis il vola vers l’extérieur, en direction de l’est, devenant rapidement une petite tache noire dans la lumière du soleil levant. Jacen le regarda disparaître, sa satisfaction se transformant en surprise. Il essaya de faire revenir l’arme vers lui, mais rien n’y fit. La Force lui avait-elle enlevé son sabre laser parce qu’il n’était plus digne d’une place dans l’Ordre ?

Au loin, il entendit le crépitement caractéristique d’un sabre laser, bientôt suivi par celui d’une deuxième arme.

Le jeune homme leva la tête et regarda dehors. Le soleil levant déversait à l’horizon une lumière dorée. Une silhouette sombre approcha, brandissant deux lames vertes. C’était un Maître Jedi enveloppé de son manteau foncé, les lames tenues devant lui comme des torches.

Luke Skywalker !

Un guerrier yuuzhan vong se jeta sur lui, faisant décrire un arc de cercle à son bâton pour lui abattre sur la tête. Le Maître Jedi para avec son sabre laser droit. Il aurait pu étriper le guerrier avec l’autre lame, mais il pivota sur le pied gauche, lançant le droit dans les jambes du Yuuzhan Vong, qui tomba lourdement sur le sol semé de cailloux. Luke abattit le pommeau de son arme sur le visage du guerrier.

Un autre Yuuzhan Vong surgit sur la droite de Luke et lui décocha un coup de bâton à l’estomac. Luke esquiva d’un saut arrière. Puis il força le bâton à pointer vers le ciel en parant avec ses deux sabres laser. Quand le Yuuzhan Vong pivota, une pierre de la taille d’un poing jaillit du sol et le frappa à la tempe, pulvérisant son casque.

Puis une deuxième pierre le frappa à l’épaule. D’autres s’élevèrent dans les airs, tourbillonnant autour du guerrier et le bombardant sans relâche.

Un troisième ennemi attaqua, avec plus de prudence que ses deux compagnons. Il fit tourbillonner son bâton autour de lui à la manière d’une hélice, visant les pieds ou la tête de Luke. Le Maître Jedi recula, puis sauta par-dessus le bâton. Il se servit de la Force pour se propulser à une bonne hauteur, fit un saut périlleux et atterrit derrière son ennemi.

Le Yuuzhan Vong se retourna et flanqua à Luke un coup de pied qui l’atteignit aux chevilles. Le Jedi perdit l’équilibre et tomba. Le guerrier leva son bâton pour l’achever.

Luke fit un saut de carpe arrière et se releva sur un genou. Ses sabres laser levés, il les croisa, bloquant le bâton au-dessus de sa tête, à l’endroit où les deux lames se touchaient. Furieux, le Yuuzhan Vong dégagea son arme, qui ouvrit une gueule pleine de crocs.

Le bâton vivant se dressa comme un serpent, prêt à frapper Luke au visage.

Le Jedi feinta de ses deux sabres laser, coupant la « gorge » du bâton puis trancha vingt-cinq centimètres de sa « queue ». Le bâton recula, se tordant de douleur, et le guerrier yuuzhan vong tituba. Sans se relever, Luke le frappa au ventre de son sabre laser droit.

Le guerrier s’écroula. Les restes du bâton se tortillèrent un instant, puis s’immobilisèrent.

Luke se leva. Des pierres roulèrent devant lui, tels des rongeurs effrayés par son approche. Elles renversèrent le monstre à carapace grise et l’écrasèrent. Le Maître Jedi enjamba d’un saut la bouillie grisâtre et dépassa Jacen sans un mot. Les sabres laser sifflèrent… puis Jacen flotta doucement vers le sol.

Il roula sur le dos. Luke s’agenouilla, lui touchant le visage de sa main droite artificielle.

Jacen sursauta quand son oncle appuya sur la graine de corail. Puis il pinça la chair entre le pouce et l’index, forçant la graine ensanglantée à sortir. Du sang coula le long de la joue de Jacen.

Jacen se leva.

– Oncle Luke, je suis désolé.

– Plus tard !

Luke lui tendit son sabre laser, le saisit par le bras droit et se releva.

– Le vaisseau est au sud-est, au creux d’une dépression. R2 nous y attend. Il expédie les données que nous avons récupérées. Nous devons partir, immédiatement.

– Et les esclaves ?

– Quels esclaves ?

Jacen utilisa la Force pour sonder les environs et ne découvrit rien.

– Je ne comprends pas. Il y avait des esclaves dans le champ de villips…

– Ils n’existent plus. Ils sont morts, ou se sont rendus aux Yuuzhan Vong et ont rejoint leur camp. Peut-être étaient-ils ce qu’ils étaient en train de devenir.

Luke s’appuya sur son neveu.

– Nous devons aller au vaisseau…

Jacen passa un bras autour de la taille de son oncle.

– Non, Jacen, c’est seulement… (Luke haletait de fatigue.)… qu’utiliser autant la Force, de façon aussi directe, est épuisant. Dépêche-toi !

– Où allons-nous ?